Evans R.G (ed.) être ou ne pas être en bonne santé : biologie et déterminants sociaux de la maladie. Montrouge:John Libbey;1996.
Synthèse de l'ouvrage (jusqu’à la page 141) :
La disponibilité de services de soins de qualité n’est qu’un facteur parmi d’autres déterminants, nombreux et complexes, qui ont des impacts majeurs sur l’état de santé des personnes et des populations. Notre environnement (dans la vie de tous les jours, au travail), notre héritage génétique, notre contexte social et culturel, nos styles de vies et nos habitudes ont été identifiés comme autant de variables qui peuvent expliquer les grandes variations de l’état de santé qui existent entre les populations. Si ce constat est largement partagé depuis une trentaine d’années, les politiques de santé restent encore aujourd’hui largement centrées sur l’organisation des soins médicaux curatifs.
Pour pouvoir agir sur ces autres déterminants de la santé, il faut d’abord pouvoir les analyser et les comprendre. Etudier les impacts de certains de ces facteurs - par exemple l’exposition à l’amiante ou l’environnement éducatif lors de la petite enfance - est particulièrement complexe car les effets sur la santé n’apparaissent parfois que des décennies plus tard. Il n’y a pas non plus toujours de lien de causalité direct entre les déterminants et leurs effets sur la santé, ces facteurs interagissent ainsi souvent entre eux pour aboutir à des résultats plus ou moins favorables. Face à cette complexité décourageante, les auteurs proposent un cadre théorique plus global qui est censé permettre à la fois de renforcer les recherches menées sur les déterminants de la santé et d’identifier comment prendre en compte ces déterminants dans les programmes de promotion de la santé. Etant le résultat du travail d’une équipe pluridisciplinaire, cet ouvrage aborde la santé d’une façon très large.
Pour pouvoir agir sur ces autres déterminants de la santé, il faut d’abord pouvoir les analyser et les comprendre. Etudier les impacts de certains de ces facteurs - par exemple l’exposition à l’amiante ou l’environnement éducatif lors de la petite enfance - est particulièrement complexe car les effets sur la santé n’apparaissent parfois que des décennies plus tard. Il n’y a pas non plus toujours de lien de causalité direct entre les déterminants et leurs effets sur la santé, ces facteurs interagissent ainsi souvent entre eux pour aboutir à des résultats plus ou moins favorables. Face à cette complexité décourageante, les auteurs proposent un cadre théorique plus global qui est censé permettre à la fois de renforcer les recherches menées sur les déterminants de la santé et d’identifier comment prendre en compte ces déterminants dans les programmes de promotion de la santé. Etant le résultat du travail d’une équipe pluridisciplinaire, cet ouvrage aborde la santé d’une façon très large.
Dans l’introduction, Evans présente les résultats d’études empiriques qui présentent des aberrations, des résultats que l’on ne parvient pas à expliquer sur la base de nos connaissances médicales actuelles. Par exemple, l’étude Whitehall sur les taux de mortalité parmi plus de dix mille fonctionnaires britanniques ainsi a révélé des différences flagrantes dans la mortalité des personnes selon la place qu’elles occupaient dans la hiérarchie de l’administration : les responsabilités professionnelles les plus élevées sont associées aux taux de mortalités les plus bas. Ces différences majeures de la mortalité entre les différents niveaux de la hiérarchie ne peuvent être en soit expliquées pas les conséquences de la pauvreté : les besoins élémentaires des personnes en bas de l’échelle hiérarchique comme la nourriture , l’hébergement et l’accès aux soins étaient bel et bien couverts. Ces différences demeurent même si l’on prend en compte les impacts de certains facteurs connus comme la plus grande consommation de tabac parmi les classes moins favorisées. Dans cet exemple, on a donc identifié un déterminant important de la santé (la place hiérarchique des personnes dans leur vie professionnelle) mais nous n’avons pas d’explication d’ordre biomédicale qui explique les différences observées dans les taux de mortalité.
Au-delà, Evans prend acte de la constatation de McKeown que « la baisse importante de la mortalité enregistrée depuis deux siècles grâce au recul des principale maladies infectieuses a eu lieu avant la mise au point de thérapie efficace » pour la tuberculose. Cette analyse est particulièrement frappante : le taux de mortalité lié a la tuberculose en Angleterre et dans le Pays de Galle a ainsi été divisé par sept entre 1840 et 1940 avant la découverte d’un traitement efficace. Ce type d’observations qui restent en partie inexpliquées illustre bien que la disponibilité de services médicaux de qualité ne joue finalement qu’un rôle très partiel dans la santé des populations. Plutôt que de dédier la grande majorité des efforts de recherche dans la découverte de nouvelles solutions uniquement médicales, Evans appelle ainsi à une bien meilleure prise en compte de ces déterminants qui restent en partie inexpliqués, car ceux-ci, à l’évidence jouent un rôle majeur dans l’état de santé des personnes.
Dans le chapitre « Produire de la santé, consommer des soins », Evans et Stoddart développent un modèle conceptuel des déterminants de la santé et de la maladie qui permette de mieux situer et comprendre les multiples interactions qui peuvent exister. Pour résumer, les auteurs partent du schéma suivant, qui présente une vision de la santé centrée sur les services médicaux (p 43).
Dans cette illustration, les pathologies en soit justifient le recours au système de soins. Celui-ci s’efforce d’y répondre au mieux en prodiguant des soins qui permettent souvent de réduire la mortalité et la morbidité associées à ces pathologies. Si d’autres facteurs sont identifiés comme jouant un rôle dans l’émergence de ces pathologies, ceux-ci ne sont pas pris en compte par le système de soins.
Les auteurs développent ce cadre initial en vue d’y intégrer au fur et a mesure les évolutions « des fondement conceptuels des politique de santé au cours des cinquante dernières années » (p 44). Ils prennent ainsi successivement en compte :
- L’enjeu politique majeur du financement du système de soin, et le sentiment largement partagé que celui-ci reste insuffisamment financé (même si ce sentiment repose sur des faits quelque peu contradictoires).
- L’apparition des catégories de déterminants de l’état de santé (les modes de vie, l’environnement, la biologie humaine et l’organisation des soins). Ceci permet de mieux expliciter ce que sont ces « autres facteurs » qui ont un impact sur la santé. Cette approche replace en outre le système de soin comme étant un ensemble de déterminants parmi d’autres, ce n’est plus le coeur du système. Mais dans les faits, cette approche a amené à la mise en place de nouvelles interventions qui souvent été mises en place par les acteurs du système de soin.
- La distinction entre la pathologie diagnostiquée par le système de soin et les états de « mal-être » vécus par les personnes. Les personnes sont en effet plus attachées à leur « bien-être », à leur qualité de vie, qu’au simple fait de ne pas être atteint par une pathologie particulière. Ce « bien-être » est en grande partie lié à l’existence ou pas de pathologies, mais pas d’une façon exclusive. La prise en compte de ce « bien-être » dépasse les prérogatives des systèmes de santé centrés sur la prise en compte des pathologies.
- Les multiples interactions qui ont été observées entre l’état de santé des personnes (par exemple la capacité de leur système immunitaire à empêcher l’émergence de la maladie) et les facteurs environnementaux (par exemple la qualité de l’alimentation).
- Le fait que les interventions médicales n’ont pas toutes que des effets positifs sur la santé. L’annonce d’un diagnostique d’hypertension par exemple peut être vécu d’une façon négative par les personnes.
- Le rôle de l’économie. Les dépenses de santé représentent une part importante du budget national de tous les pays industrialisés. Le choix assumé par les collectivités d’investir plus de ressources pour le secteur médical se fait donc forcément au détriment d’autre possibilités (comme financer l’éducation ou les transports publics) qui pourraient elles aussi avoir des impacts positifs sur la santé. Le japon est cité en exemple : la santé des japonais s’est améliorée d’une façon rapide et importante en parallèle avec le développement économique du pays ces cinquante dernières année alors que la part du produit national brut allouée à la santé au Japon est restée bien moins élevée que dans beaucoup d’autres pays industrialisés.
Les auteurs aboutissent finalement au schéma suivant qui illustre les multiples interactions qui existent au niveau d’une population entre les déterminants individuels, le coût et l’efficacité du système de soins, le bien être des personnes et la prospérité économique.
Dans le chapitre « hétérogénéité de l’état de santé et les déterminants de la santé des populations », Hertzman, Frank et Evans étayent les raisons pour lesquelles, selon eux, la recherche portant sur la « vulnérabilité généralisée » (des études sur les déterminants de la santé qui ne soient pas focalisées sur des maladies spécifiques comme c’est souvent le cas pour l’épidémiologie classique) devrait être développée. Ils remarquent ainsi que les différences de taux de mortalités entre les classes sociales sont restées inchangées depuis des décennies. Si les causes des décès ont énormément changé, le fait demeure que les pauvres continuent de mourir plus précocement que les autres groupes. Malgré les succès rencontrés dans la prévention de certaines maladies qui touchent plus particulièrement les populations les plus pauvres, les chiffres font apparaître que ceux-ci décèdent toujours prématurément, du fait d’autres maladies. Il s’agit donc d’identifier des nouvelles façons d’intervenir sur ces déterminants.
Les auteurs ont identifié six types d’explications de ces formes d’hétérogénéité qui perdurent entre différents sous-groupes de la population :
La causalité inversée : Par exemple, la plus haute incidence de maladie chez les pauvres pourrait être liée au fait que les personnes deviennent pauvre précisément parce qu’elles sont malades.
La vulnérabilité différentielle : Les auteurs citent le fait que qu’un facteur unique peut être à l’origine à la fois de l’état de santé et de l’affiliation à une catégorie socio-économique particulière d’une personne (par exemple sa taille : les «grandes »personnes réussissent plus facilement dans la vie et pourrait être également mieux traitées dès leur enfance).
Les modes de vie individuels : Il y a des différences marquantes entre les différentes catégories socio-économique comme l’équilibre alimentaire et la consommation de tabac qui sont guère expliquées en terme de libre arbitre exercé par les personnes. Ces modes de vie peuvent alors être considérés comme étant une forme de conséquence exercée par l’environnement socio-économique sur les personnes ou en d’autre termes, des formes d’adaptation des personnes à leur environement.
L’environnement physique : l’exposition à des agents pathogènes, comme l’amiante par exemple.
L’environnement social : tout les aspects de l’entourage social des personnes à même d’avoir des effets sur leur santé (soutien, affection, rejet…).
L’accès différentiels aux services de santé et l’efficacité différentielle de ces services : Cette catégorie regroupe à la fois par exemple le fait que certaines catégories de la population ont moins accès aux soins que d’autres (pour des raison légales, culturelles, ou des pratiques discriminantes de la part de certains services médicaux…) ainsi que le fait que les même interventions médicales n’ont pas le même effets sur tous les groupes de population (pour des raisons liées au genre ou aux prédispositions génétiques par exemple).
Les auteurs en outre soulignent que des années peuvent s’écouler entre le moment où le déterminant « s’exerce » et le moment où la maladie se déclare. Ces périodes de latence compliquent grandement l’identification et l’étude de déterminants de la santé. Il est donc nécessaire de d’accroître le nombre et la qualité des étude de cohorte longitudinales qui portent sur une longue durée, voire plusieurs générations. Les auteurs saluent le fait que certaines cohortes mises en place juste après la deuxième guère mondiale nous permettent aujourd’hui de pouvoir corréler la façon dont les enfants ont été élevés avec l’apparition de pathologies spécifiques à l’âge adulte. Par souci de commodité (pour ne pas devoir attendre des décennies avant d’avoir des résultats), ils encouragent l’étude des multiples registres conservés dans les entreprises ou les administrations publiques qui contiennent des données multiples décrivant la situation de groupes de personnes dans la durée.
Corin apporte un éclairage complémentaire dans le chapitre « La matrice sociale et culturelle de la santé et de la maladie ». Il met l’accent sur le fait que le diagnostique de nombreuses pathologies, en particulier les pathologies psychiatriques, est lui-même dans une grande mesure dépendant du contexte culturel. La dépression, la schizophrénie ou le stress, par exemple ne sont pas du tout vécus, interprétés et diagnostiquées de la même façon selon le pays où l’on se trouve. Ceci rend souvent vain par exemple les tentatives de comparaison entre les pays et complique les programmes de recherche menés simultanément dans plusieurs communautés différentes. En outre, les réactions des personnes ou des communautés face à une même pathologie peuvent varier énormément en fonction de leurs origines ou de leur parcours de migration. L’auteur insiste sur le fait que nos sociétés occidentales sont devenues de plus en plus multiples d’un point de vue ethnique ou culturel du fait des migrations. Les programmes de recherche et de promotion de la santé doivent donc veiller à prendre en compte d’une façon adéquate les différences qui sont éventuellement liées aux origines des personnes. Corin présente une série de recommandations à cet égard. Entre autres, il s’agit de s’assurer que ces programmes (1) sont socialement et culturellement acceptables, (2) s’appuient sur les forces et les institutions de la communauté et tenter de les renforcer (3) et prennent en compte l’importance relative accordée par la communauté aux problèmes qu’elle rencontre.
Références d'extraits significatifs :
Page 17 (concernant l’étude Whitehall sur les taux de mortalité parmi les fonctionnaires britanniques) :
On ne peut donc expliquer les relations entre statut socio-économique et santé comme on le fait souvent en interprétant la moins bonne santé des pauvres comme étant le résultat de condition matérielles insuffisantes (mauvaise alimentation, logements inadéquats, violence, pollution, promiscuité, contagion…). En se focalisant sur la « pauvreté » et en se satisfaisant de cette explication, on risque en réalité d’empêcher toute investigation plus approfondie.
Page 34 :
(…) Il s’agit de montrer que l’environnement social, extérieur au système de soins, exerce sur la santé des populations des effets majeurs, modifiables, en empruntant des voies biologiques qu’on commence tout juste à comprendre.
Page 97 :
Tout ce qui vient d’être dit jusqu’à présent permet de conclure sur la nécessité d’augmenter le nombre et la qualité des études longitudinales sur la santé, les capacités fonctionnelles et la maladie durant tout le cycle de vie et si possible, sur plus d’une génération. De plus, la gammes des expositions aux « risques » et des « conséquences » étudiées doit être extrêmement large pour permettre de tester des hypothèses complexes sur les déterminants globaux de la santé et pas seulement sur les causes de maladies spécifiques. Il faudrait, par exemple, pouvoir relier le poids à la naissance et ses interactions avec l’environnement de la petite enfance avec toute une série de conséquences sanitaires se manifestant plusieurs dizaines d’années plus tard.
Page 130 :
Les études approfondies portant sur les déterminants de la santé présentées jusqu’ici illustrent le fait que les variables sociales et culturelles ne sont pas réductibles à un certain nombre d’indices distincts. Il faut considérer les milieux sociaux et culturels comme des systèmes de variables et des processus en interaction. L’impact de facteurs de stress objectif se trouve aggravé ou atténué par toute une série de facteurs, telles les normes, les valeurs, et les stratégies collectives. De la même manière, les effets de ces facteurs de stress se manifestent selon des modes qui sont reliés au milieu social et culturel.
Commentaires personnels :
Les cadres théoriques développés par les auteurs permettent de clarifier et classer les multiples types de déterminants qui peuvent avoir des effets sur la santé des personnes et des communautés. Face à ces enjeux complexes, les auteurs fournissent des grilles d’analyse et de compréhension globale qui permettent d’organiser et de renforcer les efforts de recherche. Face au rôle central toujours joué par les professionnels du soin dans la définition et la mise en place des programmes de santé, les auteurs construisent un argumentaire solide à même de changer les priorités de la recherche et les politiques de santé pour une meilleure reconnaissance da la multiplicité des déterminants de la santé et leur importance. En effet, il apparaît fort probable que la recherche menée pour identifier les déterminants à l’origine de la mauvaise santé pérenne d’une grande partie de la population pourrait apporter des bénéfices collectifs précieux.
Cela étant dit, un postulat de base des auteurs est bien le fait de pouvoir identifier des déterminants qui soient modifiables. Les auteurs citent en de multiples reprises la pauvreté dans son ensemble et les différences de revenus entre les plus riches et les plus pauvres comme faisant partie des « principaux suspects », à l’origine des différences pérennes entre les nivaux de santé des populations. Mais agir sérieusement sur ces facteurs implique forcément la mise en place de programmes politiques de grande ampleur, et non pas des micro ajustements voués à n’avoir que des résultats minimes et limités dans le temps (ce qui, au pire pourrait contribuer à délégitimer ces approches fondées sur la prise en compte globale des déterminants de la santé…). Dans le chapitre de conclusion, « L’avenir Hygié ou Panacée », Renaud présente d’abord une variété de scénarios catastrophiques sur la situation de nos sociétés dans un avenir proche (pense-t-il que la peur est une bonne façon de susciter l’engagement social ??). Il plaide ensuite pour une redistribution des ressources actuellement allouées aux services de soins pour permettre la mise en place de programmes plus ambitieux pour l’amélioration de la santé, en d’autres termes : déshabiller Paul pour habiller Pierre… En bref, les auteurs ont bien démontré qu’il demeure des énormes carences dans notre compréhension de la santé et que les recherches à mener en priorité ne doivent pas se cantonner au champ biomédical. Mais ils restent finalement relativement vagues sur les mesures concrètes à prendre pour améliorer la santé des populations.


