Une élaboration (fictive) d’un référentiel des compétences des acteurs associatifs impliqués dans la lutte contre le sida auprès des communautés africaines en France.

Le contexte en bref :
Les communautés d’origine africaines sub-sahariennes en France sont très touchées par le VIH/sida. Avec un taux estimé de 431 découvertes de séropositivité au VIH pour 100 000 personnes (InVS, données au 31/12/2007), les personnes originaires de l’Afrique subsaharienne sont de très loin bien plus concernées par le VIH que les personnes de nationalité française (dont le taux est de 7 diagnostics pour 100 000 personnes).


Le programme national de lutte contre le sida en France 2005-2008 reconnais pleinement (1) les « migrants/étrangers » comme étant une population prioritaires et (2) le fait que acteurs associatifs doivent être des partenaires stratégiques à impliquer dans l’élaboration et la mise en œuvre des programmes de lutte contre le sida et les infections sexuellement transmissibles (IST). Les associations sont reconnues comme étant d’autant plus légitimes qu’elles sont en mesure de mobiliser et d’intervenir auprès des membres des communautés les plus vulnérables vis à vis de l’épidémie.

Or il est avéré que, d’une façon générale, les personnes africaines restent relativement absentes parmi les membres et les salariés des principales associations françaises de lutte contre le sida. Par exemple, concernant AIDES, la plus importante de ces associations, nous pouvons constater que si les personnes migrantes représentent depuis plusieurs années une part importante de notre file active (17% en 2007 dont une majorité de personnes originaires d’Afrique subsaharienne), rares sont celles qui à ce jour sont devenues membres (volontaires) ou salariées de l’association.

Il existe toutefois en France une multitude de petites associations locales fondées par des africains résidant en France qui ont intégré parmi leurs priorités la lutte contre le sida auprès des membres de leur communauté. Ces associations toutefois restent dans l’ensemble fragiles : les actions reposent le plus souvent sur les épaules de quelques bénévoles débordés. En outre, rares sont celles qui sont parvenues à bénéficier de financements publics pérennes pour renforcer leurs actions de prévention et de soutien face au sida. Les raisons de cet état de fait sont multiples. Par exemple, les bailleurs publics ne considèrent souvent pas ces structures comme étant suffisamment compétentes ou structurées pour mener à bien des programmes de prévention. Les membres de ces associations ne maîtrisent que partiellement les mécanismes de financement public : ils se retrouvent ainsi à rater des opportunités par manque d’information ou parce qu’ils ne parviennent pas à compléter les formulaires selon les modalités attendues.

Nous nous retrouvons ainsi en France face à un véritable décalage entre d’une part la reconnaissance de la nécessité d’impliquer les communautés les plus touchées par la maladie dans la définition et la mise en place des réponses face à l’épidémie (c’est là un des principes de l’association AIDES ainsi que de la Charte d’Ottawa) et d’autre part le nombre relativement faible des intervenants et des structures issus des communautés africaines qui contribuent effectivement à l’élaboration des programmes et à leur mise en œuvre.

Une première initiative mise en place par AIDES et plusieurs associations africaines en France a été de constituer à partir de 2005 le RAAC-sida, le réseau des association africaines et carribénnes de lutte contre le sida en France (www.raac-sida.org). Le RAAC-sida regroupe maintenant 34 associations situées sur tout le territoire français. Ses principaux objectifs sont de permettre la mutualisation des pratiques entre ses membres et de valoriser l’importance du rôle joué par les acteurs associatifs africains et caribéens dans la lutte contre le sida en France. Jusqu’à présent, ceci s’est fait au travers de l’organisation de plusieurs séminaires en commun ainsi qu’un petit nombre de formations à l’intention des membres des associations. Avec ce projet d’élaboration d’une façon concertée d’un référentiel des compétences, l’enjeu à présent est de renforcer la qualité et la pertinence des formations organisées pas le réseau RAAC-sida à l’intention des intervenants des associations.

Le cadre global dans lequel ce projet s’inscrit :
Il n’existe finalement encore que relativement peu de normes formelles et partagées qui définissent les meilleures façons d’intervenir dans la prévention du VIH et pour le soutien des personnes vivant avec le VIH. Contrairement au milieu du soin, la prévention du VIH et l’action de santé communautaire en France restent encore finalement des pratiques peu définies. Quelques associations comme AIDES ont établi des référentiels de bonnes pratiques sur certains types d’interventions (comme la promotion de la santé sexuelle auprès des gays par exemple) et il existe une multitude de guides établis au niveau international, mais ces référentiels jusqu’à présent n’ont encore guère été repris dans les textes officiels de la prévention du VIH en France, que ce soit au niveau du gouvernement ou de l’Institut national pour la prévention et l’éducation à la santé (INPES). Heureusement, la situation est en train d’évaluer, avec la mise en place par l’INPES d’un groupe de travail pour l’évaluation des interventions de promotion de la santé mises en place par les associations. Ce travail de construction d’un référentiel de compétences pour les intervenants qui agissent en proximité avec les africains en France représente, par conséquent, une forme de défrichage, une opportunité d’identifier pour la première fois d’une façon exhaustive les bonnes pratiques à promouvoir, avec l’espoir que celle-ci deviendront à l’avenir des normes reconnues et partagées.
La construction de ce référentiel de compétence des intervenants associatif qui interviennent auprès des africains en France contribuera ainsi, d’une façon plus globale, à faire émerger la reconnaissance de ce travail comme faisant partie des interventions essentielles à mettre en œuvre face au VIH. Il s’agit donc d’essayer de rompre le cercle vicieux dans lequel nous nous trouvons actuellement, ou la fragmentation et la faiblesse perçue des associations issue des communautés africaines sert de justification aux pouvoir public qui s’abstiennent le plus souvent de les financer et les soutenir d’une façon durable… ce qui bien entendu contribue à maintenir la faiblesse et la fragmentation de ces associations…
Ce référentiel de compétence permettra dans un deuxième temps, en toute cohérence, de définir des référentiels de formation et d’évaluation qui s’y rattachent.

Objectif principal :
Etablir d’une façon collective et concertée un référentiel de compétences intégré pour les intervenants associatifs qui interviennent dans la proximité avec les personnes d’origine africaines en France dans les champs du soutien et de la prévention du VIH et des IST.

Clarification des principes et des enjeux:
- La santé communautaire :
Ce travail s’inscrit dans un processus de renforcement d’une promotion de la santé en France qui soit en cohérence avec les principes et les valeurs contenus dans la charte d’Ottawa. Concernant le VIH, l’enjeu est bien de renforcer les capacités des personnes et des communautés à définir et mettre en oeuvre, d’une façon autonome, les façons de faire face à l’épidémie comprenant :
- la réduction des risques de transmission par la voie sexuelle ou lors de l’utilisation de matériels d’injection.
- la place accordée au dépistage du VIH et l’organisation de celui-ci
- l’accompagnement et le soutien des personnes vivant avec le VIH, notamment dans le cadre de leur parcours de soin, et pour confronter le stigma et les discriminations.
- en prenant en compte la complexité et la multitude des déterminants qui contribuent à maintenir un haut niveau de vulnérabilité des africains en France face au VIH/sida.

- Le paradigme socio-constructiviste :
Le paradigme sous-jacent à ce projet est bien paradigme socio-constructiviste de la construction des savoirs. Au contraire des modèles transmissifs ou comportementaux qui prennent le risque de définir parfois « ex-nihilo » ce que les intervenants devraient connaître et savoir-faire, ce projet prend pour point de départ les pratiques actuelles des intervenants associatifs et leur multiples compétences profanes. Face à l’urgence posée par l’épidémie de VIH dans leurs communautés, ceux-ci ont inventé (construit) et mis en œuvre un ensemble varié d’interventions pour la prévention, le soutien et le plaidoyer. Ces interventions sont fondées sur leur intime connaissance de leur communauté et de ses enjeux spécifiques (ses représentations propres et multiples sur la santé, la sexualité, la séropositivité ou sur le système de soins, les multiples difficultés administratives liées au droit de résider en France,). Il s’agit donc en grande partie d’un savoir profane qui a su faire ses preuves face à de multiples situations complexes, dont le principal défaut finalement est le fait qu’il reste encore trop méconnu, peu mutualisé et donc peu pris en compte par les institutions françaises.

- Le concept de compétence :
Selon de Ketele (cité par Parent), la compétence peut se définir sur la base du schéma suivant :

En partant de cette base, la définition des compétences retenu dans le cadre de ce projet sera la suivante : l’ensemble des ressources (savoirs cognitifs, savoir faire, aptitudes psychoaffectives, réflexives, et sociales) que la personne est en mesure mobiliser pour pouvoir accomplir des tâches complexes ou pour résoudre des situations problématiques.

Méthodologie :
- Au préalable : constitution du conseil de suivi et du comité de pilotage du projet :
Le processus de construction de ce référentiel de compétence intègrera, d’une façon la plus large possible au niveau du « conseil de suivi du projet », les principaux acteurs concernés par l’enjeu de la lutte contre le sida auprès des africains en France :
- tout d’abord et surtout des membres des associations du réseau RAAC-sida,
- des représentants du ministère de la santé et de l’INPES
- des représentants d’organismes de formation continue.
- des représentants de bailleurs privés actifs dans la lutte contre le sida.
- des représentants des services publics de dépistage et du soin du VIH/sida en France.
Le projet sera initialement présenté publiquement à l’occasion des assises annuelles organisées par le RAAC-Sida. Cela permettra de nous assurer à la fois qu’une partie significative des interlocuteurs clés sont effectivement informés de cette initiative et surtout que d’autres acteurs pertinents potentiels que nous aurions oublié dans la liste ci-dessus puissent tout de même nous rejoindre!
Si le conseil de suivi du projet a pour vocation d’être le plus large possible, le comité de pilotage du projet sera constitué au plus d’une dizaine de personne, en majorité des acteurs associatif africains de la lutte contre le sida. C’est en enjeu de commodité : ce comité de pilotage en effet sera amené à se réunir au moins une fois par mois au cours de l’année que durera le projet. Ce sera lui qui sera chargé de mettre en œuvre concrètement le projet, étape par étape, en partenariat avec le coordinateur du projet. Le conseil de suivi du projet sera lui impliqué dans la revue et la validation des productions réalisées au fur et à mesure.

- Les étapes du projet :
1/ Identification et classification des principaux types d’association de lutte contre le sida issues des communautés africaines.
Nous savons d’ors et déjà que ces associations peuvent être très différentes les une des autres, par exemple :
- Associations d’auto-support fondées par les personnes vivant avec le VIH.
- Associations de lutte contre le sida menant principalement des actions de prévention primaire et de promotion du dépistage.
- Association de quartier intervenant sur des enjeux multiples (organisation de soirée festives, alphabétisation etc…) ayant intégré la lutte contre le sida parmi ses priorités.
Il s’agit de mieux comprendre les contextes dans lesquels les intervenants travaillent. Si cette variété des associations et des actions qu’elles mènent peut être en soit une source de complexité, c’est aussi une excellente opportunité d’identifier une large multiplicité de pratiques et de types d’action à même d’être mutualisées.

2. Description des fonctions accomplies par les intervenants dans le cadre de leurs activités de prévention et de soutien face au VIH.
Ce processus impliquera l’organisation d’entretiens semi-dirigés avec une dizaine intervenants, en s’assurant que les différents types d’associations que nous avons identifiés sont bien représentés. Les activités décrite par les intervenants lors des entretiens seront listées sous la forme de verbes d’action.

Ces deux premières étapes permettront également de commencer à identifier les grandes familles de situations rencontrées. A titre d’exemple, parmi celles-ci, on peut anticiper retrouver les catégories suivantes :
- administration (écritures de projet, de rapports, de bilans de dépense)
- interventions extérieures (actions de prévention dans les soirées, dans les salons de coiffure…)
- écoute et soutien (aider les personnes qui s’interrogent sur leur prises de risques sexuels, sur leurs difficultés liées à la maladie…)
- orientation et accompagnement (informer les personnes sur le fonctionnement des centres de dépistages, aider les personnes qui font face à des difficultés légales ou administratives….)
On peut constater que ces familles de situation concernent des activités qui souvent, dans les grandes organisations, impliquent des personnes différentes et spécialisées (le service comptabilité, la direction, les chargés de projets…). Dans les petites structures associatives, les intervenants sont eux par contre amenés à devoir jongler avec toutes ces fonctions différentes. C’est là, une réalité à prendre en compte dans la constitution de ce référentiel des compétences.

3. Catégorisation des actions accomplies par les intervenants :
Dans un premier temps, les listes de verbes d’actions seront classés selon le type de compétence mobilisée :
Savoirs cognitifs (par exemple : l’adresse du centre de dépistage, les mode de transmission et de non-transmission du VIH, les effets secondaires des traitements les plus fréquents…) ;
Les savoir faire (écrire un rapport sur ordinateur, rédiger une demande de subvention…) ;
Aptitudes psychoaffectives (non-jugement, empathie) ;
Aptitudes réflexives (savoir questionner ou remettre en cause ses propres pratiques) ;
Aptitudes sociales (motiver une équipe, convaincre le patron d’une boîte de nuit d’autoriser des interventions de prévention dans son établissement…) ;
Ces verbes seront ensuite listés en fonction des familles de situations rencontrées par les intervenants lors de leurs actions.

4. Repérage et intégration des compétences mobilisées par les intervenants.
L’étude et la classification des listes de verbes d’action permettront de d’identifier et de définir les principales compétences en jeu. Lors de ce processus de rédaction de ces compétences, on s’assurera que la formulation rend explicite le type de contexte dans lequel cette compétence est mobilisée. Par exemple :
- Savoir écouter et soutenir avec empathie une personne vivant avec le VIH qui vous fait part des difficultés qu’elle a rencontré dans son milieu social du fait de sa maladie.
L’enjeu est bien d’ancrer le plus possible ces compétences dans les contextes où elles sont mobilisées.


5. Structuration des paliers de compétence :
Certaines des compétences peuvent s’acquérir ou se renforcer relativement rapidement. D’autres impliquent des processus de formation plus long. Dans ce dernier cas, il s’agira d’identifier différents paliers ou niveaux qui reflètent la façon dont ces compétences peuvent s’acquérir.

6. Validation interne et externe de ce référentiel de compétences intégrées :
Comme nous l’avons vu plus haut, le conseil de suivi du projet est invité à donner son avis sur les différentes étapes de ce processus au fur et à mesure. Cette validation sera renforcée d’une façon plus formelle avec une réunion du conseil dédié à la finalisation de ce référentiel de compétences intégrées.

- Evaluation du projet et étapes suivantes:
Un critère clé de l’évaluation de ce projet de construction d’un référentiel de compétences est avant tout et surtout son appropriation par les acteurs impliqués. Un indicateur clé pourrait donc être le nombre des partenaires qui effectivement feront référence à ce référentiel lors de l’élaboration de leurs projets.

Ce référentiel formera par la suite la base qui permettra de construire :
- des modules de formations qui prendront en compte les spécificités des compétences mobilisées.
- un référentiel d’évaluation des actions menées par les intervenants.


Références :
Mnistère de la santé de la république française. Programme national de lutte contre le sida 2005-2008. 2008.

Legall J, Spire B et al. Le quotidien des personnes immigrantes/migrantes/étrangères confrontées au VIH/Sida et aux hépatites virales B & C rencontrées dans les actions de AIDES en 2007.Association AIDES : 2007 ; (en cours de publication).

Gallay A, Bouyssou A, Basselier B, Goulet V. Le VIH et les IST en France. Département des maladies infectieuses, Institut de veille sanitaire (InVS). 2008.

Parent F. Formation, compétences et constructivisme: le référentiel d’évaluation, outil de cohérence dans les programmes de formation en santé. Ecole de santé publique de l’ULB.